« Il y a une sorte d’escalade entre Niamey et Cotonou» (Thomas Dietrich)

Le bras de fer entre  Niamey et Cotonou se poursuit avec le maintien de la fermeture de la frontière du Niger. Les autorités militaires de transition nigériennes reprochent au Bénin d’abriter des camps de l’armée française qui auraient pour objectif de déstabiliser le Niger. En réponse, le Bénin a pris des mesures de rétorsion en décidant de ne pas laisser les tankers chinois charger le pétrole extrait depuis le Niger et acheminé par un pipeline jusqu’au port de Sene au Bénin.

Pour parler de ce sujet aux enjeux géostratégiques impliquant la France, la rédaction de lesnouvellesdafrique.info vous propose un entretien avec le journaliste Thomas Dietrich, très habitué au terrain ouest africain et du Sahel notamment. Dans cette interview, il analyse les raisons de la bisbille entre le Niger et le Bénin et les grands enjeux politico stratégiques qui font que la France voudrait coûte que coûte maintenir ses forces militaires dans la région.

Lesnouvellesafrique.info : Bonjour Thomas Dietrich.

Thomas Dietrich : Bonjour.

Lesnouvellesafrique.info : Les autorités nigériennes ont annoncé le maintien de la fermeture de la frontière entre le Niger et le Bénin. Niamey dit se protéger contre l’insécurité liée au terrorisme occasionnée par la présence de camps de l’armée française au nord du Bénin, près de la frontière nigérienne. Quelle lecture faites-vous de la situation ?

Thomas Dietrich : Tout a commencé le 26 juillet dernier lorsque les militaires ont renversé le président Mouhamed Bazoum au Niger. Il y a eu des pressions notamment de la France pour rétablir le président déchu, Bazoum. Et le président béninois Patrice Talon à annoncé vouloir participer à la force de la Cedeao qui n’a jamais eu lieu mais qu’il voulait remettre en place Mouhamed Bazoum. Ce qui évidemment n’a pas plu aux putschistes. Les frontières ont été fermées de part et d’autre. Le Bénin a ensuite rouvert sa frontière mais le Niger l’a maintenu fermée.

Le premier ministre nigérien Ali Lamine Zeine l’a justifié en disant que c’était pour des questions de sécurité notamment, parce qu’il y aurait la présence de bases militaires françaises au Bénin qui formeraient des terroristes et qui chercheraient à déstabiliser le pays voisin du Niger. Alors qu’il y a une sorte d’escalade qui se caractérise aussi par la décision de Patrice Talon en rétorsion de ne pas laisser les tankers chinois charger le pétrole extrait du Niger et qui est amené par pipeline jusqu’au port de Sene au Bénin. Donc il y a une sorte de bras de fer sur la question des camps de l’armée française.

Lesnouvellesafrique.info : À nous fier à la position des autorités nigériennes, en quoi la présence de camps de l’armée française peut-elle constituer une menace terroriste pour le Niger ?

Thomas Dietrich : J’étais en reportage au nord du Bénin en janvier 2023. Ce reportage était diffusé en février 2023 parce qu’il y a des rumeurs qui courraient sur la présence de soldats militaires français au nord du Bénin plus précisément à Kandi, pas loin de la frontière avec le Niger. On s’intéressait beaucoup sur le rôle de ces militaires français, qui n’était pas caché. L’armée française et les autorités béninoises  disaient que c’était de simples instructeurs qui devaient former l’armée béninoise à lutter contre le jihadisme. Or, moi, les témoignages que j’ai pu recueillir sur place et puis même confrontés à Paris font état que ces militaires français, ces soit disant instructeurs participaient aussi à des missions beaucoup plus opérationnelles contre les terroristes, main dans la main avec l’armée béninoise notamment.

Ils intervenaient dans une ancienne réserve naturelle qui a été infestée de terroristes et n’accueillait plus de touristes. L’armée française à l’habitude de cacher le rôle véritable de ses militaires.

On se souvient des années 2010 lorsque les forces spéciales françaises se sont installées au Burkina Faso pendant des mois et des mois. L’armée française a prétendu que c’était de simples coopérants, elle n’a pas admis que c’était des forces spéciales. Évidemment du côté béninois, Patrice Talon n’a pas voulu que ça se sache qu’il y a des militaires français qui fassent des coups de feu sur le sol béninois et même s’ils étaient contre les terroristes parce que ce n’est pas populaire. Et il aurait fallu régler l’accord de défense entre la France et le Bénin. Mais ce qu’il en reste, c’est que ces militaires français là sont partis du Bénin depuis février 2023 donc soit avant le putsch qui a eu lieu le 26 juillet.

Donc, bien sûr qu’ils pouvaient pas être là pour déstabiliser le Niger. Et depuis, la France et le Bénin continuent à avoir une coopération beaucoup plus large en termes des formations qu’ils font. Il y a des coopérations en matières de renseignements. La France fournit des véhicules blindés. Il y a aussi une entreprise française Atos qui fournit des drones et un avion de renseignement à l’armée béninoise sur financement de l’union européenne. Ces outils de renseignements vont servir à surveiller la région Nord qui infestée de terroristes.

Donc il y a une coopération militaire forte entre la France et le Bénin mais qui n’est pas axée sur une base militaire secrète à Kandi puisqu’il n y a plus de militaires français à Kandi.

Cela ne veut pas dire qu’on en aura pas à l’avenir mais quoiqu’il en soit Patrice Talon a vraiment refusé que l’armée française soit présente parce que encore une fois l’armée française s’est fait jeter un peu partout d’Afrique.

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Lesnouvellesdafrique.info : Manifestement l’armée française après avoir été indésirable au Niger, semble s’entêter à rester autour de ce pays très riche en Uranium.  Quels sont, à votre avis, les enjeux de la présence de la force française ?

Thomas Dietrich : Effectivement le Niger est stratégique pour la France parce que depuis que l’armée française est chassée du Mali, avec la succession un peu difficile au Tchad, la France est beaucoup plus reposée sur Mouhamed Bazoum, le président nigerien qui était devenu le pivot de la France en Afrique ou le meilleur sous-préfet de la France au Sahel. Donc il y a eu une coopération vraiment forte entre l’armée française et le Niger. Et effectivement le coup d’état du 26 juillet à été une catastrophe pour une diplomatie d’influence au Sahel. En plus de ça, le Niger est stratégique pour deux raisons.

La première, c’est qu’on l’avait utilise un peu comme frontière extérieure de l’union européenne en finançant plein de projets au Niger pour qu’ils arrêtent les migrants qui étaient en partance pour l’Europe, passaient par le Niger et traversaient le Sahara et qui partaient par la Méditerranée.

Il y a aussi la raison économique, vous l’avez justement dit, il y a la question de l’uranium qui es stratégique pour la France parce que l’entreprise publique Orano, ex Areva exploité l’uranium du Niger. Alors, c’est un peu moins stratégique pour la France qu’à une certaine époque, mais il n’en rest pas moins que ça représente en moyenne 20% de l’approvisionnement en Uranium français qui extrait au Niger. C’est vrai que Orano a diversifié ses sources d’approvisionnement, elle est maintenant en Mongolie et au Kazakhstan mais le Niger reste quand même stratégique.

Lesnouvellesdafrique.info : la force française, à l’origine de la brouille entre le Niger et le Bénin avec la fermeture des frontières du premier, est de plus en plus indésirable en Afrique de l’ouest. Quelle explication ?

Thomas Dietrich : Évidemment, il y a une peur que cet Uranium soit capté par d’autre entreprise que la junte décide de le nationaliser. Récemment, la junte nigérienne à voulu vendre de l’uranium à l’Iran, ce qui a suscité la colère des États-Unis qui, d’ailleurs ont été chassés du Niger. Eux aussi ont perdu leur base de drone. Donc pour la France c’est très stratégique, c’est pourquoi quand il y a eu coup d’état contre Mouhamed Bazoum, Emmanuel Macron était prêt à envoyer des militaires français, néocolonialo-possible pour rétablir Bazoum au pouvoir. Ce qui aurait été une folie absolue.

Il y a eu même des réseaux français qui ont œuvré pour qu’une rébellion se crée dans le Nord du Niger sous la conduite d’un ancien bras droit de Bazoum. Donc là France a essayé mais n’a pas sa puissance d’avant.

Elle surtout en perte de vitesse et d’influence en Afrique. On attribue ça souvent à l’influence russe qui aurait chassé la France de son précarré africain mais pour moi, c’est beaup plus complexe. On nie souvent dans les médias français là colère contre cette politique française qui, pendant des années à été colonialiste, paternaliste et qui continue à maintenir des États sous tutelle, à imposer des dictateurs. Cela a fait monter une sorte de colère contre la France, qui n’a pas eu besoin d’être instrumentalisée par les russes pour éclater.

Lesnouvellesdafrique.info : Quelle devrait être la posture de la France vis-à-vis des pays d’Afrique de l’ouest qui aspirent à de plus en plus de souveraineté ?

Thomas Dietrich : Il y a une vrai volonté des peuples africains de reprendre leur souveraineté en main et de se débarrasser de l’ancienne puissance coloniale qui a commis beaucoup  de mal. Par exemple, on se souvient qu’au Niger, à Téra (ouest du Niger, NDLR), en fin 2022, l’armée française à ouvert le feu sur des manifestants pacifiques faisant trois morts dont un gamin de 4 ans et il n y a eu aucune commission d’enquête ni du côté français ni du côté nigérien.

C’est vrai il y a eu l’inefficacité de l’action militaire française au Sahel qui a fini parce qu’il a eu différents coups d’État qui ne soit pas favorables à la France qui a été poussée dehors. Et donc, on s’attendait normalement à ce que la France enfin comprenne de ses erreurs et adopté une politique plus respectueuse des pays africains, et des principes qu’on érige en tant que patrie des droits de l’homme. Mais en Afrique, on a souvent fait le contraire de ce qu’on a annoncé. Et malgré que la France est entrain de tout perdre en Afrique et qu’elle devienne une puissance moyenne voire médiocre, elle continue à pratiquer cette politique de soutien des dictateurs.

Emmanuel Macron traite de putschistes les présidents qui ne sont pas favorables à l’Elysée. Je pense aux présidents du Mali, du Burkina, etc. Mais il (Emmanuel Macron) continue à soutenir des dictateurs qui sont proches de Paris. Je pense Mahamat Deby au Tchad, Mamadi Doumbouya en Guinée et même dans une certaine mesure Patrice Talon qui est quand même un président très autoritaire qui a jeté des opposants en prison et empêché des opposants de présenter à la présidentielle.

La coopération entre la France et le Bénin est aussi problématique au regard du fait que le président béninois  qui a imposé une sorte de virage autoritaire à son pays. La responsabilité de l’échec de la France en Afrique et notamment au Sahel, elle le doit à sa politique qui a été pendant longtemps paternaliste et non pas aux russes. Cette politique qui reposé uniquement sur l’appui militaire et oublié le développement, ce qui a fait qu’elle (la France) à échoué contre le terrorisme au Sahel et elle entrain de perdre toute crédibilité ailleurs en Afrique.

Lesnouvellesdafrique.info : Merci Thomas Dietrich

Thomas Dietrich : Merci et bravo pour tout ce que vous faites.

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