« La restitution est importante mais elle n’est pas essentielle »(Hamady Bocoum)

Hamady Bocoum, directeur du musée des civilisations noires de Dakar au Sénégal, a dirigé la commission spéciale de restitution des biens culturels africains. Dans cet entretien exclusif qu’il a accordé à notre rédaction lesnouvellesdafrique.info, il s‘exprime entre autres sur la décision de la France de reporter la loi sur la restitution des objets culturels africains.

Lesnouvellesdafrique.info : Bonjour Hamady Bocoum.

Hamady Bocoum : Bonjour.

Lesnouvellesdafrique.info : La France a décidé la semaine dernière de reporter le projet de loi portant sur la restitution des objets culturels africains. Etes-vous surpris ou pas ?

Hamady Bocoum : je ne suis pas très étonné ni surpris parce que la France n’est pas prête à franchir cet énième pas.Il y a 3 ou 4 ans, vous avez certainement suivi la laborieuse restitution du sabre d’El Hadj Omar Tall, mais aussi des 26 objets rendus au Bénin. L’on est toujours passé par le vote d’une loi à l’Assemblée nationale ou au Sénat. M. Martinez, l’ancien président du Musée du Louvre, avait été sollicité pour faire un travail préliminaire. C’est-à-dire préparer un projet de texte. Ils ont dû certainement le retirer du fait de réticences fortes à l’intérieur de l’appareil.

Et ce n’est pas nouveau, car c’est une vieille habitude française. Quand il s’agit de sortir un élément intègre de leur patrimoine national, ce sont la croix et la bannière. Donc pour moi, cette nouvelle n’est ni surprenante ni décevante, parce que la restitution pour moi n’est pas une priorité.

Lesnouvellesdafrique.info : Pourquoi, d’après vous ?

Hamady Bocoum : Je pars du principe que le postulat est faux. On nous dit que 80 % du patrimoine africain se trouve en Europe. C’est totalement faux. On oublie que l’histoire de l’Afrique commence il y a 6,5 millions d’années avec l’ancêtre de l’humanité Toumaï. Et que naturellement les Africains ont continué à produire, y compris après la colonisation.

Réduire le patrimoine africain à cette période-là, c’est essentialiser la colonisation. C’est comme si l’Afrique était programmée pour être colonisée. C’est une hérésie en matière de perspectives historiques.

La restriction est importante bien sûr ; mais elle n’est pas essentielle. Personnellement, je pense que mille et une choses constituent le patrimoine culturel : c’est la vêture, la parure, la couture, les arts et les traditions populaires, l’archéologie, les expressions culturelles vivantes. C’est un patrimoine culturel qu’il faut préserver. C’est là qu’il faut mettre l’accent, c’est sur le futur qu’il faut parier, mais pas sur le rétroviseur.

La restitution est importante, certes, mais il ne faut pas se tromper de cibles. Si on continue de regarder sur le rétroviseur, le monde va avancer et nous, nous resterons dans la nostalgie.

Lesnouvellesdafrique.info : La Commission spéciale sur les restitutions est en place suite à la décision de certaines capitales occidentales de rendre aux Africains une partie de leur patrimoine culturel. Pouvez-vous nous dire ce que vous avez fait et obtenu concrètement depuis la mise en place de cette Commission ?

Hamady Bocoum : Nous sommes dans le marasme, comme c’est le cas avec cette loi. C’est-à-dire, après sa création, la commission s’est penchée sur des séminaires. Des inventaires sur le patrimoine matériel et immatériel ont été faits. On a même un partenaire prêt à nous appuyer, en l’occurrence l’OSIWA. Deux missions exploratoires ont été faites, une à Paris, une autre au Havre, et on a pu identifier un peu les objets les plus importants appartenant au Sénégal. Entre guillemets, j’en parle toujours comme cela. Si cette loi était passée, on aurait pu certainement faire tout de suite des restitutions. Je donne le cas du patrimoine omarien qui se trouve au Havre.

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Ce que je veux faire comprendre, c’est que la conférence de Berlin a eu comme conséquence la balkanisation de l’Afrique. Le continent a été coupé en petits morceaux. Les gens n’ont pas pris en compte les continuités culturelles. Aujourd’hui, on est en train de restituer des objets à des États alors qu’on les a pris à des communautés. Le risque étant de berliniser les cerveaux. D’où l’importance de déconstruire la restitution.

Lesnouvellesdafrique.info : Après le sabre d’El Hadj Oumar Tall qui est revenu ici au Sénégal, est-ce que Dakar a introduit d’autres demandes de restitution pour d’autres objets appartenant au peuple sénégalais ?  Si oui, lesquels ? Si non, pourquoi ?

Hamady Bocoum :  Si effectivement, des demandes très précises ont été faites au niveau du musée du Havre sur d’autres objets, mais nous somme toujours en attente comme c’est le cas pour cette loi.

C’est pas compliqué, vous savez. On connaît le voleur, on connaît le receleur, on connaît la planque. Arrivera un moment où l’on retirera ce que l’on veut retirer. Le plus urgent pour l’Afrique, c’est d’être attentive à sa production contemporaine.


Lesnouvellesdafrique.info : Ici au musée des civilisations, haut lieu des expositions d’objets d’art culturels africains, comment les œuvres d’arts africaines sont conservées, car de nombreuses voix en Europe estiment que les pays d’Afrique ne sont pas capables de conserver ces objets.

Hamady Bocoum : Cette question de conservation est un faux débat, à mon avis. Comme je vous ai dit tantôt, ces objets n’étaient pas dans des musées. Ils se trouvaient dans des hôtels, des forêts sacrées, dans la vie active. Ce n’est pas à eux de nous dire où mettre ces objets. Si on veut, on les met dans les musées, dans les forêts sacrées, si on veut, on les brûle. Ce n’est pas leur problème. On en fera ce que l’on veut.

C’est un faux problème. Vous savez que la conservation coûte cher. Elle fait partie de la dette coloniale ou de la facture coloniale. Ils n’ont qu’à la garder avec eux jusqu’au moment où on en aura besoin et qu’on aille les chercher. D’autant plus que beaucoup de pays ne disposent pas assez d’infrastructures adéquates pour conserver ces objets. Or vous savez que ces objets à l’origine n’étaient pas des pièces de musées. C’étaient des objets de cultes ou des rituels. C’est eux qui les ont momifiés en disant que c’est de l’art africain, mais c’est tout simplement de la fabrication coloniale. Laissons les fabriquer leurs colonies et continuons à vivre et à créer.

Lesnouvellesdafrique.info : Selon des estimations, 70 000 objets dorment au musée du Quai Branly à Paris en France qui devrait faire l’objet d’une exposition prévue pour 2025. Pourquoi la restitution de ces œuvres est toujours un sujet sensible ?

Hamady Bocoum : Je ne le pense pas. La plupart des objets qui sont là bas sont déjà effacés de la mémoire collective. Il y en a qui sont certes importants, surtout ceux liés à des personnalités importantes de notre histoire commune. Je pense, d’ailleurs, qu’on doit les revendiquer ou même les confisquer.

On doit essayer de montrer que de Dakar à Djibouti, l’Afrique était unie et que c’est la colonisation qui nous a coupés en petits morceaux. Je suis d’avis que ces objets doivent constituer de vrais ambassadeurs des continuités africaines.

Cela peut être un des arguments importants pour refonder le discours sur l’impérative nécessité de la réunification politique, culturelle et économique de ce continent.

Lesnouvellesdafrique.info : Merci. M. Hamady Bocoum 

Hamady Bocoum : Merci à vous.

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