Alors que les Togolais connaissent désormais les résultats des élections législatives et régionales du 29 avril, lesnouvellesdafrique.info donne la parole à Gilbert Bawara, ministre de la Fonction publique, du Travail et du Dialogue social et cadre d’Unir, le parti de la majorité au pouvoir au Togo.
Dans cet entretien exclusif, celui-ci revient sur le déroulement de ces scrutins et l’adoption de la nouvelle Constitution qui, si elle est promulguée ferait passer le pays à un régime parlementaire.
Lesnouvellesdafrique.info : Bonjour M. le ministre Gilbert Bawara. Les Togolais viennent de voter pour des élections législatives et régionales. Mais ces élections sont marquées par une faible affluence. Pourquoi, selon vous ?
Gilbert Bawara : A l’évidence, l’affluence a été moindre dans la capitale Lomé. Je l’ai constaté dans mon centre de vote, puis en sillonnant d’autres quartiers de Lomé pendant le déroulement du scrutin. En revanche, de forts taux de participation sont enregistrés dans les autres circonscriptions et dans toutes les régions à travers le pays. Tous ces chiffres, irréfutables, sont en possession des états-majors politiques, et ils n’accréditent guère les prédictions annonciatrices d’une abstention massive ou record.
Finalement, nous avons un taux de participation global très élevé de plus de 61%, et donc une mobilisation et une participation largement au-dessus de la moyenne observée ces derniers temps dans tous les pays de la sous-région.
Les dernières élections législatives au Sénégal, en Côte-d’Ivoire, au Burkina-Faso et au Bénin, par exemple, se sont soldées par des taux de participation de 46,64%, 37,88%, 49,66% et 37,79% respectivement. Cette comparaison permet à chacun de se faire une idée.
Au demeurant, la désaffection observée dans la capitale, autrefois considérée comme bastion de l’opposition, s’est opérée au détriment de l’opposition et de ses leaders dont les contradictions, les incohérences et les ambiguïtés se révèlent déroutantes et source de démobilisation et de découragement pour leurs militants et sympathisants. Certains observateurs pressentaient déjà un risque de déconvenue pour l’opposition, au regard des faibles mobilisations et du peu d’engouement et d’enthousiasme qu’elle suscitait tout au long de la campagne électorale.
Lesnouvellesdafrique.info : Vous niez également les fraudes et irrégularités dénoncées presqu’unanimement par les leaders de l’opposition ?
Gilbert Bawara : Les listes du parti UNIR ont eu contre elles toutes les autres listes de candidatures issues notamment des partis politiques de l’opposition. Certains de ces partis et des organisations de la société civile avaient des représentants dans les structures d’organisation et de conduite des opérations électorales, notamment les bureaux de vote, les commissions électorales locales (CELI) et la commission électorale nationale indépendante (CENI).
Tous ces partis et les candidats indépendants avaient déployé des milliers de délégués et témoins dans les bureaux de vote ou auprès des CELI et de la CENI. Cette dernière a pris le temps nécessaire pour faire un travail minutieux notamment en procédant aux vérifications des allégations d’irrégularités ou d’incidents portées à sa connaissance et, le cas échéant, en effectuant les corrections et ajustements requis.
Si des parties prenantes aux élections estiment qu’il subsisterait des cas litigieux, alors qu’elles usent des voies de recours disponibles, et tout le monde sera situé.
Mais, la persistance dans le déni de la réalité ne permet pas à l’opposition d’avoir une analyse et un diagnostic raisonnés des choses. elle s’obstine dans un refus à prendre conscience de son absence d’implantation réelle et de travail sur le terrain. Elle refuse de tirer les conséquences inévitables de sa fragmentation et des chocs d’égos de ses leaders. Constater cela, et le déplorer, ce n’est pas, de ma part, faire preuve d’arrogance. Mais c’est souligner l’a nécessité d’avoir des partis politiques viables, soubassement du pluralisme politique, pour renforcer la vitalité de la vie démocratique et du jeu politique.
Lesnouvellesdafrique.info : Ces élections se sont déroulées aussi dans un contexte politique marqué par l’adoption d‘une nouvelle Constitution qui fait passer le pays d‘un régime présidentiel à un régime parlementaire.
L’opposition extraparlementaire parle d‘une confiscation flagrante du pouvoir par le président Faure Gnassingbé. Pourquoi, selon vous, le Togo a décidé de liquider le suffrage universel ?
Gilbert Bawara : J’espère que nous avons, vous et moi, la même compréhension de la notion de suffrage universel.
Au sens des principes de droit et des pratiques établis et reconnus dans toutes les démocraties à travers le monde, le suffrage universel est soit direct soit indirect, et aucun des deux n’est beaucoup plus légitime que l’autre. Le suffrage universel indirect est pratiqué en Allemagne, en Italie, en Angleterre, dans de nombreux pays nordiques. Et il le sera désormais au Togo en ce qui concerne l’élection du Président de la République, et le choix du Président du Conseil, chef du gouvernement.
J’espère donc que l’idée de nos adversaires politiques n’est pas de disqualifier, de récuser et de dénigrer le suffrage universel indirect pour tous ces pays et États que je viens de mentionner. Sauf s’ils en ont une autre conception lorsque’il s’agit du Togo.
Lors de la campagne électorale, nous avons eu à l’expliquer à nos concitoyens, particulièrement les électeurs, et à les édifier abondamment. Les électeurs savent qu’en votant pour les conseillers municipaux et les conseillers régionaux, ils participent à la mise en place du corps électoral chargé de l’élection d’une grande partie des sénateurs. Ils savent également que les députés qu’ils élisent sont déterminants pour le choix du Président de la République, désormais élu par les députés et les sénateurs réunis en congrès, et pour celui du Président du Conseil, chef du gouvernement qui, lui, est issu du parti ou de la coalition majoritaire à l’Assemblée nationale.
C’est d’ailleurs pourquoi il est ridicule de prétendre que la réforme constitutionnelle mise en place aurait pour effet de priver le peuple de la possibilité de choisir lui-même les personnes chargées de présider à ses destinées. Certains ont été encore cocasses en insinuant que cette réforme traduirait la peur ou la crainte d’un désaveu ou d’une défaite lors de l’élection présidentielle qui aurait eu lieu en 2025. Comme si les élections législatives et régionales du 29 avril 2024 ne concernaient pas aussi le peuple et l’électorat !
Quant aux supputations et aux procès d’intention concernant la confiscation du pouvoir par un parti ou un homme, ce refrain est bien connu. Je doute que cela impressionne grand monde.
Lesnouvellesdafrique.info : Dans un entretien que l‘ancien ministre de l’Intérieur M. François Boko nous a accordé, il parle d‘un renversement constitutionnel qui ne participe en rien au développement politique du Togo. Que répondez-vous ?
Gilbert Bawara : C’est son opinion. Je la respecte.
J’encourage les plus jeunes de nos concitoyens, et tous ceux qui le souhaitent, à chercher à étudier les archives de la période de transition des années 1991-1994. Certains tentent aujourd’hui de réécrire l’histoire ou d’en avoir une approche révisionniste.
A la vérité, la Constitution de 1992 avait été adoptée dans un climat de violences et de tensions, et dans un contexte d’apparent consensus. Chaque camp politique était animé d’arrière-pensées et espérait pouvoir revisiter et adapter la loi fondamentale selon sa vision et ses intérêts une fois la transition achevée, et le pouvoir conquis. Cette Constitution a toujours fait l’objet de vives controverses et de contestations par toutes les sensibilités.
Les débats surgis en 1994, à la suite des élections législatives en attestent. Aucun des trois partis ayant obtenu des sièges de députés ne disposait, à lui tout seul, de la majorité absolue, car c’est de cela qu’il s’agit lorsqu’on parle de majorité parlementaire. Cette configuration mettait en lumière les imprécisions et les approximations intrinsèques de la Constitution. Celle-ci ne prévoyait aucun mode opératoire et aucun mécanisme, par exemple une mission d’informateur ou de formateur, permettant d’identifier la majorité et la minorité à l’Assemblée nationale.
Dans ces conditions, la volonté conciliatrice du Président Eyadema fut à l’époque considérée par certains comme une manœuvre visant à diviser les deux partis dits de l’opposition. A tort. Ceci illustre une des lacunes de la Constitution de 1992 en la matière.
En mai 2019, lorsque l’Assemblée nationale avait procédé à la révision constitutionnelle en vue de rétablir le scrutin présidentiel à deux tours et la limitation des mandats présidentiels, cela n’avait pas trouvé grâce aux yeux des opposants. L’initiative fut décriée par les acteurs de l’opposition extra-parlementaire. Aujourd’hui, les mêmes acteurs estiment qu’il s’agissait là d’une avancée démocratique qu’il aurait fallu préserver absolument ! J’en déduis que quoique l’on fasse, ceux qui ont toujours contesté, contesteront ; ceux-là même qui sont absents de l’Assemblée nationale parce qu’ils avaient choisi de boycotter les législatives de 2018 en dépit des gestes d’ouverture et de compromis affichés par le Chef de l’État et ses partisans.
Lesnouvellesdafrique.info : Et que dites-vous des levées de bouclier suscitées par ce changement de Constitution ?
Gilbert Bawara : Bien sûr, les approches, les démarches et les méthodes sont perfectibles. Les efforts pour renforcer l’adhésion des populations à toute réforme et aux politiques publiques sont une œuvre de tous les instants. C’est dans cet esprit que le travail d’information et de pédagogie se poursuivra pour amener nos concitoyens à mieux saisir les mérites et les avantages de la réforme constitutionnelle qui vient d’être opérée.
Cette réforme adoptée par l’Assemblée nationale a scrupuleusement respecté le cadre légal en vigueur, notamment toutes les dispositions pertinentes de notre Constitution, et elle repose sur une pratique démocratique établie. Ses fondements juridiques sont solides et incontestables. Car, faut-il le rappeler, les députés sont dépositaires de la volonté populaire. Ils ont reçu un mandat du peuple. Tant que de nouveaux députés élus n’ont pas pris fonction, les députés en fin de mandat restent en place et rien ne peut entraver ou limiter leur capacité à exercer pleinement leurs prérogatives, y compris en procédant a une révision constitutionnelle si le besoin s’en fait sentir. Il y va du respect du principe de continuité de l’État, essentiel au bon fonctionnement des institutions démocratiques.
Lesnouvellesdafrique.info : Revenons sur les vertus que vous semblez trouver à la nouvelle Constitution.
Gilbert Bawara : La réforme constitutionnelle mise en place traduit un projet ambitieux, structurant, qui cherche à adapter notre gouvernance institutionnelle aux exigences de notre temps. Elle est porteuse d’une pratique plus moderne, une pratique adaptée à la diversité de la société togolaise, à nos réalités, une pratique qui accentuera la démocratisation de notre pays, tout en assurant la stabilité de l’État.
La clé de voûte de cette réforme sera un nouvel équilibre des pouvoirs, en rompant avec le présidentialisme, le centralisme et la tendance à une personnalisation du pouvoir et de l’État, en déconcentrant les centres de décision et de responsabilité.
C’est une réforme d’ouverture, et de dialogue. Avec un processus de construction commune et positive. C’est l’un des objectifs majeurs de cette réforme, de ce changement de paradigme : favoriser une culture de dialogue, de l’échange entre les différents acteurs politiques et institutionnels.
Cette décentralisation du pouvoir porte en elle aussi l’objectif d’une meilleure appropriation de politiques publiques par nos concitoyens. Ils seront partie prenante des processus de décision et s’impliqueront davantage dans la gouvernance, et le processus de développement de notre pays.
Au Togo, la mise en place du régime parlementaire impliquera une transformation profonde, positive et graduelle de nos institutions et de notre relation au pouvoir. La mise en œuvre de cette Ve République impliquera un réel progrès démocratique.
Et ma conviction, c’est que cette réforme consolidera la stabilité du Togo, en assurant des mécanismes fluides de désignation de nos dirigeants, de dévolution des prérogatives de gouvernement.
La question de la stabilité n’est pas un artifice politique, un argument de politiciens. C’est une vraie exigence stratégique. Notre sous-région vit des moments difficiles, marqués souvent par la rupture de l’ordre constitutionnel, les menaces terroristes, alors que les enjeux économiques et sociaux restent prioritaires. Notre responsabilité est d’être vigilants et adaptables, de faire preuve d’anticipation.
Cette réforme s’inscrit enfin et justement dans notre ambition plus globale d’émergence. La croissance, les investissements, l’inclusion, la lutte contre la pauvreté et pour un développement rapide ont besoin de stabilité et de modernité politique. C’est tout l’enjeu de cette nouvelle République.
Lesnouvellesdafrique.info : M. Boko dit aussi que les élections du 29 avril se sont déroulées au moment où les Togolais ignorent sous quel régime politique ils vivent car la nouvelle Constitution n’a toujours pas été promulguée.
C’est son point de vue. Certes la nouvelle Constitution n’était pas, juridiquement, en vigueur à la date des élections du 29 avril. Mais les points saillants et les innovations majeures de la réforme constitutionnelle étaient parfaitement connues de tous. Sinon, pourquoi contester le suffrage universel indirect si cette réforme était sans incidence lors des élections du 29 avril ? Il faut être cohérent et conséquent.
Justement, M. Boko lui-même, ainsi que ses amis de l’opposition ont cherché à transformer ces élections en un référendum pour ou contre la réforme constitutionnelle. Il a clairement et ostensiblement donné un mot d’ordre, en appelant les Togolais à utiliser le scrutin pour sanctionner le régime. Il n’a pas été suivi. Son mot d’ordre et la stratégie de ses amis se sont soldés par une déconvenue.
En ce qui concerne le parti UNIR, nous avons poursuivi les efforts de pédagogie durant toute la campagne. Nous avons clairement posé les enjeux de la réforme et de la prochaine législature, avant le scrutin Nous avons insisté particulièrement sur les conséquences et les implications du vote sur le choix du futur président de la République, chef de l’Etat, et du Président du Conseil, chef du gouvernement. Nous avons appelé les électeurs à renouveler leur confiance et leur soutien au Président Faure, en votant massivement pour les listes UNIR. C’est donc en toute connaissance de cause que les électeurs ont fait leur choix, en votant le 29 avril lors du double scrutin.
Lesnouvellesdafrique.info : M. Boko dit aussi que les Togolais ont soif de changement, et n‘ont jamais renoncé à l’alternance.
Cela dépend de ce qu’il appelle changement ou alternance. Que des acteurs politiques et des citoyens aient des ambitions politiques et aspirent à présider aux destinées de notre pays, cela me paraît parfaitement légitime. Toutefois, les ambitions et désirs de quelques-uns ne sont pas à confondre avec les aspirerions de tous les Togolais dans leur ensemble ! la préoccupation des Togolais, au-delà des questions de personne, est avant tout d’avoir un emploi, d’avoir accès à une bonne éducation, à des soins de qualité, bref à des services sociaux de base. Le tout dans la paix et dans la sécurité dans une région tourmentée par des crises politiques et sécuritaires.
Lesnouvellesdafrique.info : L’Église demande au président Faure Gnassingbé de ne pas promulguer la nouvelle Constitution. Dans quelle mesure il est important d’associer, ou pas, les religieux au processus politique dans votre pays ?
Gilbert Bawara : Les religieux, quelle que soit leur confession d’appartenance, sont aussi des citoyens. Ils ont parfaitement le droit d’avoir des opinions et de les exprimer. Il leur appartient de s’assurer que leurs prises de position sur des questions éminemment politiques ne les fassent apparaitre, à tort ou à raison, comme des acteurs partisans. Ou que cela n’accrédite un sentiment de confusion des rôles.
Lesnouvellesdafrique.info : A quoi doit-on s’attendre dans les prochains mois ?
Il est souhaitable pour notre pays que les esprits s’apaisent, que les polémiques et les débats stériles se se fassent moins bruyants.
Nous aurions tort de chercher à tout idéaliser. Aucune constitution n’est bonne ou parfaite en soi. Aucun modèle ou système politique et aucun mode de gouvernance n’est bon ou parfait en soi. Le contexte et les réalités sont des facteurs importants. Et, par-dessus tout c’est la pratique du pouvoir de la part des femmes et des hommes qui incarnent les institutions.
La réforme constitutionnelle mise en place se déploiera et se mettra effectivement en œuvre, dans toute son ampleur, dans un temps long. Au-delà des débats qui sont nés et des combats politiques qui ont lieu, le Président Faure a le souci d’associer toutes les forces vives du pays, toutes les composantes de la société et tous les acteurs qui souhaitent participer à cette nouvelle étape et à cette ère nouvelle pour le Togo, dans un esprit de dialogue et de respect mutuel.
Lesnouvellesdafrique.info : Merci M. Gilbert Bawara.
Gilbert Bawara : Merci à vous.