Ce 03 Mai est célébrée la journée mondiale de la presse. Les Nouvelles d’Afrique a tendu son micro au directeur du bureau de RSF pour l’Afrique subsaharienne, Sadibou Marong pour faire l’état des lieux de la liberté d’expression en Afrique et le dernier classement de RSF sur la question. Entretien
Les Nouvelles d’Afrique.info : Bonjour Sadibou Marong.
Sadibou Marong : Bonjour.
Les Nouvelles d’Afrique.info : La liberté de la presse est célébrée ce 03 mai dans un contexte où plusieurs pays font face à des entraves à la liberté d’information. Quel regard rsf jette-t-il sur la situation ?
Je voudrais d’abord dire que le Classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters Sans Frontières (RSF) en 2024 montre que la situation de la liberté de la presse se dégrade encore dans le monde en 2023 et 2024. Moins de 1% de la population mondiale vit dans un pays où la liberté de la presse est pleinement garantie. Moins de 10% de la population mondiale vit dans un pays où la liberté de la presse est satisfaisante ou bonne (¼ seulement des pays de la planète).
36 pays, représentant plus de 50% de la population mondiale, sont des pays où la liberté de la presse n’est absolument pas garantie, où l’exercice du journalisme est particulièrement dangereux (Russie, Turquie, Palestine, Pakistan, Egypte, Cuba, Iran et les 3 pays de queue de peloton : Erythrée, Syrie, Afghanistan).
L’indicateur politique est celui des 5 indicateurs du score général qui baisse le plus, alors même que plus de la moitié du globe est appelé aux urnes en 2024.
Or, RSF rappelle que le journalisme digne de ce nom est la condition d’un système démocratique et de l’exercice des libertés publiques.
La liberté de l’information est la condition de toutes les autres libertés.
Les Nouvelles d’Afrique.info : La liberté de la presse est t’elle sous pression ?
Sadibou Marong : Nous estimons que la liberté de la presse est sous pression politique. Elle est de plus en plus menacée par celles et ceux qui sont censés en être les garants. C’est-à-dire que les acteurs politiques ne protègent pas suffisamment la liberté de la presse, et pire qu’ils en sont parfois les fossoyeurs. Cette déresponsabilisation politique va de pair avec une instrumentalisation des médias dans des campagnes de harcèlement ou de désinformation.
Dans plus de ¾ des pays évalués par RSF, la majorité des répondants signale une implication des acteurs politiques dans ces campagnes.
Les Nouvelles d’Afrique.info: Plusieurs medias nationaux et internationaux notamment font actuellement l’objet de suspension. Quel acte avez-vous posé en ce sens ?
Sadibou Marong : Vous voulez certainement parler des pays du Sahel : Mali, Burkina Faso, Niger. Plusieurs pays du Sahel, où l’accès à l’information se restreint toujours davantage. Des médias ont été suspendus spécifiquement la diffusion de médias étrangers, principalement français comme France 24, RFI et TV5 Monde. Le coup d’État de juillet 2023, suivi de l’adoption par la junte de mesures liberticides, a fait chuter le Niger (80e) de 19 places.
La situation n’est guère reluisante au Burkina Faso (86e) avec une perte de 28 places, ainsi qu’au Mali (114e). Le Togo, le Burkina et le Mali font partie des 15 pays du monde qui ont les baisses les plus marquantes. Le Togo est à la 113e place avec une baisse de 43 places : dans un contexte d’élections législatives, les décisions arbitraires ou disproportionnées de la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) envers les professionnels de l’information sont fréquentes.
Les Nouvelles d’Afrique.info : Des journalistes sont tués, on en dénombre pas moins de 22 tues en 2023 outre ceux, morts entre israël et gaza selon des données de l’unesco. Quelle doit etre la posture des organisations comme la votre pour un arret definitif ?
Sadibou Marong : Il y a plus de 100 journalistes tués par les forces israéliennes à Gaza depuis le 7 octobre, dont au moins 22 dans l’exercice de leurs fonctions.
Nous avons noté une incapacité politique à protéger pleinement le journalisme et à lutter contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes, illustrée notamment par l’incapacité politique de la communauté internationale à faire respecter la résolution de l’ONU sur la protection des journalistes à Gaza.
Depuis le 7 octobre 2023 et le début du conflit à Gaza, RSF a déposé 2 plaintes à la Cour pénale internationale (CPI), s’ajoutant à celles déposées les années précédentes – une en mai 2018, l’autre en mai 2021 et l’appui à la plainte concernant l’assassinat de Shirin Abu Akleh en décembre 2022. Le 5 janvier 2024, le bureau du procureur de la CPI a pour la première fois affirmé publiquement via RSF que les crimes contre les journalistes sont inclus dans son enquête sur la situation en Palestine.
Nous appelons la communauté internationale à augmenter la pression sur Israël pour que cesse le massacre des journalistes à Gaza, pour que la porte de Rafah soit ouverte afin que les journalistes puissent sortir s’ils le veulent, et les journalistes internationaux puissent rentrer.
Les Nouvelles d’Afrique.info : Que peut-on dire de l’état de la liberté de la presse dans le monde particulièrement en Afrique ?
Sadibou Marong : Un nombre croissant de gouvernements et d’autorités politiques n’assurent pas leur rôle de garant d’un cadre exemplaire pour l’exercice du journalisme et pour le droit du public à une information fiable, indépendante et plurielle. RSF observe une détérioration préoccupante du soutien et du respect de l’autonomie des médias et un accroissement des pressions exercées par l’État ou d’autres acteurs politiques.
Cela est perceptible en Afrique. 48 pays d’Afrique subsaharienne ont été pris en compte dans le Classement de cette année. Il n’y a que 5 pays d’Afrique subsaharienne qui sont dans une situation bonne c’est-à-dire en jaune dans le document que vous avez. Il s’agit de la Mauritanie (33eme), de la Namibie (34eme), des Seychelles (37eme), de l’Afrique du Sud (38e) et du Cap Vert (41eme).
Nous notons que 27 pays de la région ont connu une hausse dans leur rang et on y retient outre la Mauritanie qui a fait un bond de 53 places par rapport à l’année dernière.
Un pays comme la Tanzanie qui connait la 2ème hausse de places au sein de la zone Afrique (46 places) occupant le 97ème rang alors qu’il était à la 143e en 2023. Il est intéressant de s’arrêter sur ce pays qui sortait, il y a deux ans ou presque d’une dictature et qui laisse entrevoir des signes d’espoir quant à la liberté de la presse, avec une présidente Samia Suluhu Hassan, arrivée au pouvoir en mars 2021, qui a commencé à desserrer petit à petit l’étau sur les médias prenant le contrepied de son prédécesseur John Magufuli, mettant un frein vers une censure totale ou un désert de l’information. Elle a levé l’interdiction de plusieurs médias et aucun journaliste n’a été envoyé en prison. Face à une hausse comme celle de la Tanzanie, il y a en Afrique subsaharienne des hausses en trompe-l’œil notamment dans des pays comme la Guinée (qu’elle va aborder) et le Sénégal où le rang augmente mais le score diminue.
En effet, si le pays offre traditionnellement un contexte favorable à la presse, on note une recrudescence des attaques envers les journalistes. Des arrestations fréquentes et des interpellations liées aux tensions politiques. Et pire le Sénégal a perdu 13 places en termes de sécurité avec un rang en dessous de son rang dans tous les autres domaines.
21 pays de la région ont chuté dans le classement de cette année. Je mets l’accent sur le Togo où la situation empire (113e, – 43), le seul pays de la région où des journalistes ont été ciblés par des logiciels espions, où des arrestations de journalistes et les décisions arbitraires ou disproportionnées de la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) envers les professionnels de l’information sont fréquentes.
Le fait que c’est un pays africain,( l’Érythrée (180e) ferme cette année), montre également la nécessité de la mobilisation pour le droit à l’information en Afrique subsaharienne.
Les Nouvelles d’Afrique.info : Des défis au quotidien ?
Sadibou Marong : Les défis du continent restent encore nombreux en matière de liberté de la presse comme le Classement de cette année le montre. Les élections qui ont eu lieu dans la région en 2023 ont charrié beaucoup de violences contre les journalistes et les médias de la part des acteurs politiques et de leurs soutiens.
Cela a été le cas au Nigeria (112e), où près d’une vingtaine de reporters ont été attaqués début 2023. À Madagascar (100e), ils ont été une dizaine à être pris à partie par les forces de sécurité et des militants politiques lors de manifestations pré-électorales.
En République démocratique du Congo (RDC, 123e), où les intimidations de journalistes par des personnalités politiques sont régulières, la détention de Stanis Bujakera, dans le cadre d’une procédure judiciaire intentée contre lui malgré un dossier vide, a empêché le journaliste de couvrir la période pré-électorale.
Lors des séquences électorales, les acteurs politiques tentent également d’utiliser les médias comme instruments d’influence et de pouvoir. Une méthode observée au Sénégal (94e), en RDC et au Nigéria, où des personnalités politiques ont parfois même créé leurs propres médias.
Nous avons aussi constaté comment au cours de périodes précédant les élections le pouvoir politique a renforcé son contrôle de l’information : suspension abusive d’Internet, expulsion ou interruption des médias étrangers.
Dans une Afrique subsaharienne où le droit à l’information et la liberté d’informer sont de plus en plus mis à rude épreuve, l’embellie vient de la Tanzanie (97e), avec un bond de 46 places, laissant entrevoir des signes d’espoir quant à la liberté de la presse dans un pays où la présidente desserre petit à petit l’étau sur les médias, ainsi que de Mauritanie (33e), où les exactions contre les journalistes s’avèrent moins fréquentes dans un écosystème toutefois dominé par des médias publics et une précarité très forte de la presse indépendante.
Les Nouvelles d’Afrique.info : Sadibou Marong, merci.
Sadibou Marong : Merci à vous