Ces dernières années, le franc CFA est au cœur de débats passionnés, soulevant beaucoup de controverses, avec d’un côté ses défenseurs qui y voient une garantie de stabilité monétaire et de l’autre ses farouches opposants qui jugent cette monnaie comme une relique coloniale.
A l’instar des autres pays de la zone franc, le Sénégal n’échappe pas à cette tendance régionale, où les appels à une réforme du franc CFA se font de plus en plus pressants.
La question s’est invitée dans la campagne pour l’élection présidentielle de ce 24 mars, les candidats y vont chacun de sa proposition et de son programme à propos de la monnaie.
Si certains parmi les candidats ont encore foi dans le franc CFA et prônent le statu quo, d’autres optent pour une monnaie nationale et une sortie de la zone franc.
Tour d’horizon des différentes mesures préconisées par les candidats à la présidentielle du 24 mars 2024.
Bassirou Diomaye Faye prône la sortie du Franc CFA
Dans son programme de campagne, le candidat Bassirou Diomaye Faye affirme sa préférence pour une réforme monétaire qui permettrait au Sénégal d’intégrer une monnaie unique pour l’ensemble des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ou de battre sa propre monnaie si les conditions ne sont pas réunies.
Bassirou Diomaye Faye qui partage avec Ousmane Sonko les mêmes aspirations et visions souverainiste, prône une rupture totale avec le système actuel.
« Il n’y a pas de véritable souveraineté s’il n’y a pas de souveraineté monétaire », a déclaré Diomaye Faye lors d’une conférence de presse conjointe avec Ousmane Sonko au lendemain de leur sortie de prison.
Selon Ousmane Sonko, cette perspective s’inscrit dans une approche sous-régionale qui devrait permettre d’aboutir à une monnaie unique pour l’ensemble des pays de la CEDEAO.
« Le franc CFA tel qu’il est conçu entrave le développement économique de la région et il est nécessaire d’envisager d’autres options. Nous essaierons d’abord de mettre en œuvre une réforme monétaire au niveau sous-régional. Si nous n’arrivons pas à impulser les réformes au niveau communautaire, alors nous prendrons la responsabilité de doter le Sénégal de sa propre monnaie « , a déclaré M.Sonko.
Les partisans de la monnaie unique de la Cedeao affirment qu’elle facilitera le commerce, réduira les coûts de transaction et facilitera les paiements entre les 385 millions d’habitants de la région.
Une sortie du Sénégal de la zone Franc « inopportune et impertinente »
Cette proposition du candidat Bassirou Diomaye Faye, a soulevé une vague de réactions parfois virulentes dans l’opinion publique Sénégalaise et au sein de la classe politique.
Parmi les premiers candidats à réagir à la proposition du candidat Diomaye Faye, l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall qui a jugé impertinent et inopportune la création d’une monnaie nationale et donc la sortie de l’Union monétaire avec les pays de la sous-région.
« Nous sommes de ceux qui pensent qu’il faut renforcer l’UEMOA, renforcer l’intégration économique et monétaire, pour renforcer notre économie. Les pays qui ont les plus fortes monnaies, ce sont les unions monétaires ou les grands pays, même s’il y a quelques exceptions à cette règle. Pour une économie forte, il faut une monnaie forte » a déclaré le candidat Khalifa Sall.
« Nous sommes à l’ère de la mondialisation et les pays sont appelés à s’ouvrir. Notre pays a une longue tradition d’accueil des touristes. Mais pour tirer profit de cette ouverture et du secteur touristique, il faut une monnaie forte. Si vous avez une monnaie de pacotille, vous aurez du mal à vivre de votre secteur touristique. Et pour avoir une monnaie forte, il faut des économies fortes, il faut être ensemble. » a plaidé l’ex maire de la capitale sénégalaise, candidat pour la présidentielle.
»S’abstenir d’un retrait unilatéral du Sénégal du franc CFA »
Pour sa part, le candidat Idrissa Seck est contre toute idée de « sortie unilatérale du Franc CFA ».
Le candidat est d’avis « qu’une monnaie nationale stricto sensu n’est pas de notre point de vue à l’ordre du jour. Une monnaie communautaire régionale, en revanche, serait un bel instrument de développement économique. »
« S’abstenir d’un retrait unilatéral du Sénégal du franc CFA faire de la monnaie commune de la CEDEAO l’alternative exclusive au dépérissement organique du franc CFA », c’est ce que propose celui que ses partisans appellent Idy, dans son programme dénommé PACTE.
« Autant il nous est nécessaire de bâtir une politique monétaire solide et crédible avec nos voisins de l’Afrique de l’Ouest ; autant une sortie précipitée, solitaire et non concertée du franc CFA pourrait exposer notre économie à des chocs lourds. » avertit M. Seck.
Idrissa Seck propose « d’encourager, renforcer et accélérer le processus de création de la monnaie commune de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest » et recommande de « faire de la monnaie commune de la Cedeao l’alternative exclusive au dépérissement organique du franc Cfa ».
» Sortir du FCFA est un non-sens économique »
Le débat sur l’avenir du franc Cfa intéresse aussi le candidat de la coalition au pouvoir, l’ancien ministre de l’Économie et des Finances et ancien Premier ministre Amadou Ba.
Selon lui, le véritable enjeu c’est plutôt de bâtir une monnaie CEDEAO et le Sénégal est dans cette dynamique, même si les pays se heurtent à de nombreuses difficultés, compte tenu de la sensibilité de la question.
Amadou Ba qualifie de « non-sens économique » la proposition du candidat de l’anti système, Bassirou Diomaye Faye.
« Ce qu’ils prônent, ce n’est bien ni pour le pays ni pour la population. Si on leur donne le pays, ils vont nous mener droit vers le gouffre. C’est un non-sens économique », juge t-il.
« C’est comme un enfant qui joue à un jeu dangereux. Ce projet est simplement insensé. Sortir du CFA signifie : si vous êtes commerçant, si vous voulez importer ou exporter des produits, ce serait la croix et la bannière. Les pays qui battent leur monnaie et qui ont des économies similaires aux nôtres, nous ne les envions pas. »
Créé le 26 décembre 1945, le franc CFA est la monnaie commune de 14 pays d’Afrique de l’ouest et centrale.
Les pays utilisant le FCFA sont répartis en deux zones, huit en Afrique de l’Ouest, six en Afrique centrale, constituant deux unions monétaires distinctes :
– Le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo constituent l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), coiffée par la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), créée en 1962 et dont le siège est à Dakar (Sénégal).
– Le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad constituent la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), sous tutelle de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), créée en 1972 et dont le siège est à Yaoundé (Cameroun).
Les 15 Etats membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) incluant les 8 Etats de l’UEMOA ont adopté une feuille de route en vue du lancement d’une monnaie commune en 2027. Celle-ci sonnerait le glas du franc CFA.
Source : BBC Afrique