Ils sont devenus fous. (Par Tierno Monénembo)

À Niamey, à Ouagadougou et à Bamako, les juntes au pouvoir quittent la Cedeao (pour aller où, Mon Dieu ?) sans donner un préavis et sans même respecter le délai d’un an prescrit par la convention.

À Conakry, le lieutenant-colonel Mamadi Doumbouya, récemment autoproclamé général d’armée (excusez du peu !) pourchasse les journalistes et les activistes de la société civile et s’attaque à coups de ciseaux au vaste univers Internet.

Au Sénégal, Macky Sall reporte la présidentielle initialement prévue ce 25 février et s’offre gratuitement un an de plus dans le but manifeste de ruser avec le tabou du troisième mandat.

À croire qu’ils se sont passé le mot : « Défonce le plafond et moi, je brise le mur ! » Et toi, mets le feu à la toiture pendant que cet autre pulvérise la véranda ! » La Maison Afrique est en démolition et cette fois-ci, ce sont des Africains qui sont les maîtres d’œuvre de cette lamentable entreprise.

Ce qui se passe en ce moment équivaut à un double sacrilège. L’unité et la démocratie, ces deux belles causes que l’on croyait sinon sacrées, du moins, nobles, tombent du pinacle et sont foulées au pied par de jeunes aventuriers fougueux, sans légitimité, sans expérience.

Inutile de relire Byden, Du Bois, Padmore, Gavey ou Nkrumah pour se convaincre que l’unité africaine n’est ni une utopie ni une coquetterie intellectuelle, mais une nécessité vitale. Des micro-pays comme les nôtres n’ont aucune chance de survie dans le monde tel qu’il est. L’heure est aux mégapoles, aux méga-États, aux méga-nations.

Aujourd’hui, un pays de moins de 100 000 000 d’habitants n’en est pas un. Pour cela, même les vieilles nations européennes qui sont pourtant des puissances économiques et militaires l’ont intégré dans leur logiciel, malgré les guerres séculaires qui les ont opposées naguère.

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Assimi Goïta, Ibrahima Traoré et Abdouramane Tiani ne manquent pas d’arguments pour justifier leur incroyable décision : ils fustigent la Françafrique, prônent la libération du continent et l’émancipation de l’homme noir. Seulement, ce n’est pas Sankara qui veut. Les Africains savent d’expérience que le vieux couplet révolutionnaire est à double tranchant : s’il enflamme la jeunesse, il favorise aussi la carrière des démagogues et des opportunistes.

C’est sûr que la Cedeao est loin d’être parfaite. Mais non seulement elle a le mérite d’exister, mais elle est dans son rôle quand elle condamne les putschs. Nous devons la préserver même si beaucoup d’entre nous la prennent pour une coquille vide jusqu’au jour où nous réussirons à y loger un contenu. On ne renie pas la case familiale sous le prétexte que sa toiture laisse passer l’eau de pluie, on la répare, on l’améliore, on la perfectionne.

L’indépendance réelle de l’Afrique est un devoir qui nous incombe à tous, mais ne perdons pas de vue que la division est la plus sûre alliée de la domination étrangère. L’Afrique cessera d’être le jouet des grandes puissances le jour où elle gravera sur le front de ses édifices cette devise qu’elle aurait dû faire sienne aux premières heures de la décolonisation : « L’unité d’abord, le reste, après ».

Quant à la démocratie, le bilan des régimes militaires et des partis uniques est suffisamment éloquent pour engager là-dessus un débat de sophistes. Si jamais, elle était un luxe, alors, nous devrions donner les yeux de la tête pour nous la payer et en finir une fois pour toute avec le règne des présidents à vie et des maréchaux de pacotille. Par chance, elle ne l’est pas, c’est une demande universelle, c’est la pente naturelle de l’histoire moderne.

Inutile de chercher loin, les malheurs de l’Afrique proviennent de deux manques, j’allais dire, stupéfiants : celui de l’unité et celui de la démocratie. L’Afrique est à bout de souffle. Fomenter des coups d’État, tripatouiller les institutions ou saborder une organisation telle que la Cedeao par les temps qui courent, revient à lui servir le verre du condamné.

Le génie en politique, ce n’est pas de savoir ce qu’il faut faire, c’est de savoir ce qu’il ne faut pas faire.

Tierno Monénembo

Source : Le Point

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