Au Sénégal, le Conseil constitutionnel a déclaré jeudi (15.02.24)), contraire à la Constitution, la loi adoptée le 5 février par l’Assemblée nationale, repoussant la présidentielle du 25 février au 15 décembre. Il constate « l’impossibilité d’organiser l’élection présidentielle à la date initialement prévue » du 25 février, compte tenu du retard pris par le processus, et « invite les autorités compétentes de la tenir dans les meilleurs délais ».
Quelques heures avant cette décision, plusieurs détenus politiques ont été mis en liberté provisoire, sur l’initiative du procureur de la République.
Dans cette interview exclusive que vient de nous accorder Seidy Gassama, directeur exécutif d’Amnesty Sénégal, celui-ci estime que la libération des détenus politiques est une procédure irréversible pour sortir le pays de la crise politique.
Lesnouvellesdafrique.info: Bonjour M. Seydi Gassama. Hier, de nombreux détenus politiques ont été libérés. Un peu plus tard dans la soirée, le Conseil constitutionnel a annulé le report de l’élection présidentielle prévue le 25 février. Ces deux faits sont-ils de nature à décrisper la tension politique au Sénégal ?
Seydi Gassama : Je pense qu’il y a eu beaucoup de libérations pendant les deux derniers jours, mais il reste encore beaucoup de détenus en prison. On va attendre de voir si les libérations vont continuer aujourd’hui et dans les jours à venir. Et si notamment les deux détenus les plus célèbres, seront libérés et s’ils sont libérés, c’est clair que cela va contribuer à décrisper l’atmosphère parce que toutes les personnes qui ont été arrêtées l’ont été essentiellement parce qu’elles protestaient contre l’arrestation de Sonko ou les poursuites contre Sonko depuis trois ans. Donc, il doit être remis en liberté et entamer ensemble une concertation pour s’accorder sur une nouvelle date pour les élections.
Lesnouvellesdafrique.info: Justement, vous faites bien de parler des élections. Le Conseil constitutionnel sénégalais a annulé la décision de reporter ce scrutin présidentiel. Est-ce que cela contribue aussi à la décrispation de la crise politique ou est-ce qu’il faut encore s’attendre à un processus de dialogue pour se mettre d’accord sur une nouvelle date de l’élection présidentielle ?
Seydi Gassama : Je pense que le Conseil constitutionnel a sauvé le Sénégal. Il a mis fin au coup de force de Macky Sall avec l’ancien parti au pouvoir, le Parti démocratique sénégalais, qui a consisté à annuler l’élection et prolonger le mandat de M. Sall. Cette décision du Conseil constitutionnel est légitime, bien motivée et imparable. Je crois qu’elle va dans le sens de l’intérêt du Sénégal.
Lesnouvellesdafrique.info: Elle va d’abord dans le sens du droit, n’est-ce pas ?
Seydi Gassama : Ils ont dit le droit, mais aussi la décision va dans le sens de sauver la démocratie sénégalaise qui a été très malmenée pendant les douze ans de règne de Macky Sall. Maintenant, il faut libérer tous les détenus parce que ce sont des personnes qui ont été arrêtées pour des motifs politiques.
En ce qui concerne l’élection présidentielle, matériellement, il va être extrêmement difficile d’organiser le scrutin d’ici le 25 février. Il va falloir certainement se concerter et trouver une nouvelle date.
En ce qui concerne les changements qu’il faut faire au Sénégal, parce qu’il y a énormément de changements qu’il faut faire d’abord pour assurer l’indépendance de la justice, qui a été instrumentalisée par tous les pouvoirs au Sénégal depuis l’indépendance du pays. La justice est restée sous la coupe de l’exécutif qui l’a utilisée à sa guise. Donc Il faut réformer la justice en profondeur. Il faut réformer l’administration en profondeur pour que, évidemment, qu’elle soit indépendante. Une administration au service de tous les citoyens et non pas une administration qui fait allégeance au parti au pouvoir et qui participe à la patrimonialisation de l’État et de ses institutions.
Lesnouvellesdafrique.info: Parce que cette crise politique est aussi le résultat de l’exclusion politique des acteurs majeurs de la scène politique sénégalaise. Je veux parler de Karim Wade et d’Ousmane Sonko qui ne pourront pas participer à l’élection présidentielle.
Seydi Gassama : Oui, c’est ça. Et cette exclusion, évidemment, comme je l’ai dit, est due à une volonté de Macky Sall. Depuis qu’il est au pouvoir, il s’est toujours évertué à utiliser les procédures judiciaires pour éliminer ses adversaires les plus sérieux. Il l’a fait en 2019 contre Khalifa Sall et Karim Wade. Et à partir de 2021, il a commencé à instrumentaliser la justice contre Ousmane Sonko qui, aujourd’hui, de facto, va être exclu de l’élection présidentielle à venir.
Mais le plus important pour les Sénégalais, c’est de mettre fin aux douze ans de règne de Macky Sall, qui ont constitué un grand recul démocratique pour le pays. Jusqu’à hier, on avait plus de 1000 détenus politiques dans les prisons sénégalaises.
Aujourd’hui, c’est l’autocensure. Les médias sont fermés dès qu’un média organise un plateau, un débat où l’on critique le gouvernement ou lorsque les médias couvrent les exactions des forces de sécurité. On coupe tout de suite le signal, on retire même la licence de ces médias-là. On coupe Internet pour que personne ne sache ce qui se passe pendant les manifestations.
Lesnouvellesdafrique.info: Pourtant le Sénégal est présenté comme un modèle démocratique en Afrique.
Seydi Gassama : Oui, le Sénégal fut le phare de la démocratie et des droits humains en Afrique jusqu’au moment où Macky Sall est arrivé au pouvoir et qu’il a commencé à démanteler ce modèle. Aujourd’hui, le Sénégal est ramené au niveau de ces États que nous avons en Afrique avec des présidents qui règnent depuis 30 ou 40 ans où on coupe Internet, où on retire les licences de radio et où on a plus de 1000 prisonniers politiques. C’est une honte.
Lesnouvellesdafrique.info: Merci Seidy Gassama
Seydi Gassama : C’est moi.