De jeunes footballeurs arnaqués par des faux agents

Faire un essai dans les clubs européens, un rêve pour de nombreux jeunes footballeurs, parfois victimes d'agents véreux. (ZOE DESRUMAUX / GETTY IMAGES / FRANCEINFO)

Des millions de jeunes footballeurs rêvent de faire carrière en Europe, une situation dont profitent des escrocs pour leur fournir de fausses convocations pour des essais, contre de l’argent.

Ils sont nombreux, chaque année, à se présenter aux grilles des centres de d’entraînement de clubs professionnels, convocation en main, mais à trouver portes closes. Sans pouvoir évaluer leur nombre, les clubs préférant rester discrets sur ce sujet, de jeunes footballeurs espèrent pouvoir montrer leurs capacités dans des clubs européens, mais se retrouvent recalés. La faute à une fausse invitation pour un essai, promis par des « agents » escrocs, en échange d’une somme d’argent plus ou moins importante, comme a pu le vérifier franceinfo: sport en répondant à plusieurs annonces sous l’identité d’un jeune joueur camerounais. Certains, qui ont traversé la Méditerranée pour réaliser leur rêve, se retrouvent alors démunis.

14 décembre 2023. Dans la grisaille nantaise, Buna, Albanais de 19 ans, débarque au centre d’entraînement des Canaris, convocation à la main, pour un essai. Logo du club, tampon, signature, le document a tout d’un vrai, sauf la syntaxe imparfaite, mais ça, Buna ne le sait pas. La lettre indique que « l’équipe professionnelle Football club de Nantes, souhaite par la présente à vous informer de tout son intérêt à vous », et termine par « Je vous prie d’assurer monsieur, et votre sport fidèlement« . Elle est évidemment fausse, et l’accès au centre d’entraînement lui reste fermé. Le jeune footballeur voit son rêve s’évanouir et n’a plus de nouvelles de son agent qui se présentait comme un Danois, mais dont le compte bancaire, sur lequel Buna a versé près de 400 euros, est domicilié au Cameroun.

La fausse convocation de Buna, 19 ans, pour un essai au FC Nantes. (Capture d’écran Twitter @MatthieuBideau)

C’est un agent camerounais qui a également escroqué Hadji, ancien international guinéen U17, en 2022, quand il avait 20 ans et jouait pour un club de D1 guinéenne. « Un agent est venu me voir. Il m’a dit que j’étais un bon défenseur et qu’il pouvait m’aider à jouer en troisième division en Croatie », raconte-t-il à franceinfo: sport. Mais le footballeur doute et veut d’abord en discuter avec sa mère. « Nous sommes allés la voir ensemble à la maison, et il a discuté avec elle. Il l’a convaincue et tout le quartier lui disait de me laisser partir en Europe pour saisir ma chance. Elle m’a dit de ne pas m’inquiéter, qu’elle allait trouver l’argent, donc j’ai dit OK », poursuit-il.

« Je l’ai rappelé tous les jours et il a bloqué mon contact »

Hadji évoque une somme de 100 millions de francs guinéens, soit environ 10 000 euros payés à cet agent, qui réserve un voyage jusqu’en Egypte, où le footballeur doit obtenir son visa, puis un vol vers la Croatie. « Mais quand je suis arrivé là-bas, il n’y avait personne pour venir me chercher à l’aéroport. L’agent m’a réservé un hôtel pour une semaine, et il m’a dit de ne pas m’inquiéter, que le club devait revenir vers moi. Ça n’arrivait pas. Je l’ai rappelé tous les jours puis il a bloqué mon contact », se remémore le défenseur. Sans nouvelles, il se retrouve livré à lui-même, à la rue, il dort dans des gares, et se met en tête de rejoindre la France et Lyon, en tant qu’admirateur de l’Olympique lyonnais.

Après un voyage en bus, le Guinéen atteint sa destination, mais sans papiers, il est expulsé vers le pays d’où il est arrivé, la Croatie. Avec d’autres migrants, il se décide à revenir en France et marche plusieurs jours, sans beaucoup s’alimenter, à travers la Slovénie puis l’Italie. Arrivé à Nice, Hadji parvient à regagner la région lyonnaise, où il vit toujours de manière irrégulière, dans une maison abandonnée, sans chauffage, et avec la peine de savoir sa maman en situation difficile.

« Ma maman est menacée par la police en Guinée parce qu’elle ne peut pas rendre l’argent qu’elle a emprunté pour m’envoyer en Europe, et moi je ne peux pas l’aider. Je porterai plainte quand j’aurai les moyens, mais je ne peux pas aller voir la police parce qu’ils vont me demander mes papiers. »

Hadji, footballeur guinéen de 22 ans

à franceinfo: sport

Loin de ses ambitions, le Guinéen évolue désormais avec l’équipe 3 d’un club de la région lyonnaise. « Au final, à quoi ça sert de quitter l’Afrique pour jouer en Régionale ? », interroge Amane Dramera, qui a fondé l’association Passeur de rêve après avoir connu la même infortune il y a 15 ans. Désormais diplômé et éducateur, il avait, lui aussi, fait confiance à un faux agent et pensait faire un essai au Paris Saint-Germain.

Âgé de 16 ans, après avoir risqué sa vie pour traverser la Méditerranée en pirogue, il avait trouvé portes closes. « Quand tu te retrouves à la rue, c’est dur. Les jeunes sont abandonnés. Quand je vois l’état dans lequel j’ai été, c’était dur. Tu commences à devenir fou, tu peux faire des bêtises, voire penser à te suicider, raconte l’homme d’origine ivoirienne. Moi, je n’ai rien dit à ma famille et je ne voulais pas rentrer. Chez nous, l’échec, c’est la honte. Mais certains ont vu mon histoire à la télé. »

Après un reportage de Stade 2 et avec le soutien de Thierry Braillard, alors secrétaire d’Etat aux Sports, Amane Dramera crée son association pour venir en aide aux footballeurs escroqués par des agents véreux : « Ce sont plus des passeurs que des agents. Ils font du trafic de personnes, en profitant de nos rêves. On est peut-être un peu naïfs. Pour les réaliser, on suit le premier venu ». Pour lui, la lutte contre ce fléau passe avant tout par des opérations de sensibilisation comme celle menée par la Fifpro (le syndicat international des footballeurs), en collaboration avec l’Organisation Internationale du Travail et la Fondation Didier Drogba en 2023, à destination du public africain.

« Ici, devenir footballeur est effectivement le rêve d’énormément de gamins et de leurs parents. Les jeunes, qui n’ont pas la possibilité d’être dans de grandes académies, sont à la merci de ces prédateurs », confirme Jean-Flaubert Nono, manager général de l’Ecole de football des Brasseries du Cameroun, l’une des meilleures académies du continent, qui a formé plusieurs internationaux camerounais comme Samuel Eto’o ou Vincent Aboubakar. « Mais nous sommes une grosse structure, donc nos jeunes sont relativement protégés. Ils sont forcément des cibles et sont sollicités par des agents, vrais ou faux. On fait de la sensibilisation par rapport à l’environnement extérieur, pour leur dire de ne pas écouter tout ce qu’on peut leur raconter dehors », poursuit-il.

En dehors, et sur les réseaux sociaux. « Aujourd’hui, tout passe par là », complète Thomas Buanec, véritable agent français licencié par la FFF, dont l’identité a été usurpée des « centaines de fois depuis une dizaine d’années » par des escrocs. « Ils s’amusent à faire des comptes Instagram et Facebook avec mes photos. Certains sont plus ou moins créatifs. Parfois ils utilisent mon nom, parfois ils prennent ma photo mais avec le nom d’un autre agent, et le nom d’une autre société. Et ils sont très forts, parce qu’ils ont plus d’abonnés que les vrais agents et achètent de faux followers pour se donner de la crédibilité », décrit-il.

930 euros pour un essai au centre de formation de Liverpool

Franceinfo: sport a enquêté et a créé un faux compte Instagram en se faisant passer pour un jeune footballeur camerounais de 16 ans, à la recherche d’un essai dans un club européen. Nous sommes tombés sur le compte @agentdefootball, qui se présente comme Paul Balland, le nom d’un agent français licencié auprès de la FFF, mais dont toutes les photos sont des copies de celles de Thomas Buanec. Contacté, ce faux agent qui compte 24 000 abonnés (contre 2 140 pour Thomas Buanec) nous a envoyé un document à remplir en ligne, bourré de fautes d’orthographe, et qui demande une caution de 320 euros pour traiter notre dossier.

Ce compte Instagram reprend les photos de signatures de contrat de Thomas Buanec, mais en prenant le nom de Paul Balland, un autre agent figurant sur la liste des agents licenciés par la FFF. (Capture d’écran Instagram @agentdefootball)

Un autre faux agent, qui dit s’appeler Alexey Mirontsev, propose quant à lui des essais dans plusieurs clubs européens, dont l’académie de Liverpool. Selon lui, le centre de formation des Reds recherche un milieu de terrain, un gardien, des ailiers et un attaquant, âgés de 16 à 30 ans, « pour une signature directe ». Les conditions ? « Le joueur doit déposer une caution de 800 livres (930 euros) avant tout. Ces 800 livres couvrent l’invitation, le visa et le vol. Le joueur voyagera sous un délai de 25 jours, c’est une urgence. Si vous n’avez pas l’argent, ne m’envoyez pas de message. »

Contacté via le faux compte créé par franceinfo: sport, le faux agent répond que les joueurs « sont libres de choisir un autre agent ou d’autres méthodes », mais que sa méthode est faite « pour ceux qui préfèrent une approche discrète » puisqu’il « travaille directement avec les coachs ». Une réponse identique, à la virgule près, à celle d’un troisième faux agent, @world_football_agent, également contacté via notre faux compte. Sans demander de vidéo pour évaluer le niveau de notre faux joueur, et alors qu’il a été précisé qu’il n’avait que 16 ans (les transferts internationaux sont interdits avant l’âge de 18 ans, sauf pour des transferts entre pays de l’Union Européenne), Alexey Mirontsev détaille ensuite les méthodes pour le payer.

« Plus c’est gros, plus ça passe », réagit Thomas Buanec, alors que les clubs mentionnés dans les annonces frauduleuses font parfois partie des meilleures formations européennes. « Ils jouent sur la corde sensible. Les gens se disent que pour parfois 100 euros, ils peuvent faire un essai dans un top club, et que s’ils sont bons, ça va changer leur vie. Mais c’est ce que j’expliquais un jour à une maman : si en payant 90 euros on pouvait faire un essai à Tottenham, il y aurait 800 personnes devant la grille du centre d’entraînement tous les matins », raconte l’agent, qui précise que les victimes de ces escroqueries ne sont pas uniquement des footballeurs africains, et sont parfois âgées d’une vingtaine d’années.

« Aucun club ne demande de l’argent pour faire un essai »

« Il ne faut jamais payer un agent avant qu’il ne vous ait fait signer quelque part. On est payé pour le contrat qu’on négocie. Et aucun club professionnel ne demande de l’argent pour faire un essai », rappelle Thomas Buanec. « Les clubs européens ont de plus en plus souvent des recruteurs dédiés au continent africain, poursuit Jean-Flaubert Nono. Ils viennent superviser les tournois que l’on organise, les enfants le savent et on sait avec qui on parle. Ils suivent les joueurs parfois sur plusieurs années et la plupart du temps, la décision est prise sur place. On passe directement à la case contrat sans passer par la case test en Europe. Et si jamais il y a un test, le club prend en charge les frais et le joueur ne paye rien ».

Lassé par les multiples usurpations d’identités, Thomas Buanec a porté plainte « une fois, deux fois, trois fois », mais a arrêté. « Sinon je devrais aller toutes les semaines au commissariat », déplore-t-il. Il a également signalé les comptes qui reprennent son nom ou ses photos à Facebook et Instagram, mais franceinfo a constaté qu’au moins trois d’entre eux étaient toujours actifs. L’agent souhaiterait que les comptes officiels des véritables agents soient certifiés au même titre que ceux des joueurs pour se distinguer des escrocs, « mais le problème c’est que, désormais, on peut payer pour être certifié sur ces plateformes, donc n’importe qui peut le faire ».

Parmi la quinzaine de clubs français contactés, un seul a répondu qu’il était déjà arrivé que des joueurs se présentent avec une fausse convocation à son siège social, et non au centre d’entraînement. L’Olympique Lyonnais a annoncé au Parisien qu’il comptait porter plainte car une fausse agence a utilisé l’adresse de sa boutique pour sa domiciliation. Le FC Nantes a lui aussi décidé de saisir la justice alors que des cas comme celui de Buna se présentent « au moins trois fois par an »selon Matthieu Bideau, responsable du recrutement du centre de formation des Canaris, cité par Le Parisien.

Source: Franceinfo

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