Ce jeudi (11.01.23), la Cour internationale de justice se penche sur la requête sud-africaine contenue dans un document de 84 pages.
Le document adressé par l’Afrique du Sud à la Cour internationale de justice qui siège à La Haye exhorte, d’abord, les juges à ordonner d’urgence à Israël de « suspendre immédiatement ses opérations militaires » dans la bande de Gaza.
La plainte sud-africaine marque un tournant majeur dans la réponse juridique internationale au conflit israélo-palestinien, explique Adama Dieng, ex-conseiller spécial du secrétaire général des Nations Unies pour la prévention du génocide insiste sur le fait que les bombardements sur les populations civiles à Gaza sont constitutifs d’un crime de guerre.
« Parce que on ne peut pas cibler des populations civiles, cibler des installations civiles et quand on le fait et qu’il s’en suit des dégâts, des victimes, cela est constitutif de violation du droit international humanitaire. Il ne s’agit pas là du crime de génocide. »
Pourtant, Pretoria, sous l’impulsion de l’ANC, estime qu’Israël « s’est livré, se livre et risque de continuer à se livrer à des actes de génocide contre le peuple palestinien à Gaza ». Mais la position de Prétoria reflèterait le sentiment de nombreux Africains qui se considèrent comme des peuples dominés et opprimés comme les Palestiniens, selon plusieurs analystes.
Pour défendre ses accusations contre Israël devant la Cour internationale de justice, Pretoria a dépêché « une équipe d’élite » d’avocats.
« Il est très important de rappeler que le crime de génocide est un crime identitaire. Il s’agit de l’extermination, en partie, ou en totalité d’un groupe du fait de son identité soit raciale, religieuse, ethnique ou nationale », pour spécial du secrétaire général des Nations Unies pour la prévention du génocide Adama Dieng.
L’ANC au pouvoir en Afrique du Sud, soutient depuis longtemps la cause palestinienne. Alors président de la Nation arc-en-ciel, Nelson Mandela avait ainsi affirmé que la liberté de l’Afrique du Sud serait « incomplète sans la liberté des Palestiniens ».
L’Afrique du Sud accueille la plus grande communauté juive d’Afrique subsaharienne. Mais le pays compte une population musulmane bien plus importante, dont une partie pourrait soutenir cette démarche devant la justice.
Critères stricts liés à la définition d’un génocide
Génocide, un mot qui revient souvent depuis des semaines pour désigner ce qui se passe à Gaza. Pourtant, les critères stricts liés à la définition d’un génocide ne permettent pas de parler de génocide dans le cas actuel de la guerre à Gaza.
C’est en 1944 que le terme « génocide » est utilisé pour la première fois. Raphaël Lemkin, un avocat juif polonais, qui adoptera par la suite la nationalité américaine, invente ce mot pour qualifier non seulement les politiques nazies d’extermination systématique du peuple juif pendant l’Holocauste, mais aussi d’autres actions ciblées menées par le passé dans le but de détruire des groupes particuliers d’individus.
Le terme est employé au procès des criminels nazis de Nuremberg, en 1945, où Raphaël Lemkin est le chef de la délégation américaine, et celui-ci plaide par la suite pour faire du génocide un crime international.
Cela aboutit, à l’adoption, en 1948, par l’Onu, de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide qui encadre clairement, juridiquement, le génocide.
L’article II de cette convention définit le génocide comme tout acte « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel. »
Toujours selon la définition des Nations unies, ces actes comprennent le meurtre, l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, la dégradation de leurs conditions de vie au point de mettre leur existence en danger, des mesures visant à entraver les naissances ou encore l’enlèvement d’enfants.
La Convention sur le génocide indique également que toute personne – gouvernant, fonctionnaire ou particulier – peut être poursuivie et condamnée pour génocide et que tous les Etats, qu’ils aient ou non ratifié le texte, sont juridiquement liés par le principe selon lequel le génocide est un crime proscrit par le droit international.
La Cour pénale internationale et la Cour internationale de justice sont les deux institutions judiciaires compétentes en la matière.
Sauf que, au quotidien, beaucoup de gens utilisent ce mot « de manière très vague pour désigner les crimes les plus grands et les plus graves » estime Valérie Gabar, experte en droit international.
En effet, la portée symbolique de ce mot est énorme : « il sonne beaucoup plus dur encore que « crimes de guerre » ou « crimes contre l’humanité », explique celle qui est aussi cofondatrice de « UpRights », une plateforme de conseil juridique.
Pourtant, constater un génocide, « n’est pas qu’une question de chiffres. Le critère le plus important est l’intention d’exterminer physiquement un groupe ».
Mais comment prouver une intention ? C’est là tout le problème, selon William Schabas, professeur canadien de droit international. Comme « les auteurs ne feront probablement pas d’aveux directs devant le tribunal », la justice est obligée de s’appuyer sur des textes, des ordres, des actes ou encore des pratiques qui peuvent servir à prouver l’intention.
La complexité des dossiers et le nombre de victimes font que les poursuites pénales pour génocide prennent souvent beaucoup de temps : « Nous ne devons pas seulement prouver l’intention de tuer, mais l’intention de tuer des gens parce qu’ils appartiennent à un groupe particulier », insiste Valérie Gabar qui a participé à des tribunaux internationaux pour le Cambodge, le Rwanda et l’ex-Yougoslavie.
Ces dernières années, le terme de génocide a souvent été employé par des dirigeants politiques pour qualifier des atteintes aux droits de l’Homme en Chine, au Myanmar, en Syrie ou, plus récemment, en Ukraine.
Autant de tentatives d’utiliser le mot pour des événements qui ne correspondent pas à la définition juridique du génocide, selon le professeur William Schabas.
Pour l’heure, trois massacres de masse ont été reconnus comme génocide par l’Onu : l’extermination des juifs par les nazis pendant la période de la Seconde Guerre mondiale, le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 et le massacre des musulmans à Srebrenica en Bosnie en 1995.
Mais d’autres crimes peuvent être reconnus comme tel par certains Etats. C’est le cas par exemple de l’Allemagne qui a reconnu le génocide des Héréros et des Namas perpétré par les autorités coloniales allemandes en Namibie au début du XXe siècle.