Tchad : phase finale de la transition, quel Premier ministre pour quelle politique ?

Pour de nombreux observateurs de la vie politique tchadienne, les deux premières phases de la transition ont été celles de tous les échecs et surtout celles des occasions manquées : Le massacre du 20 octobre , la mort cérébrale de l’accord de Doha et le pillage systématique des biens publics durant les deux premières années du règne de Mahamat Kaka.

L’échec la plus patente de la transition a été le dernier référendum constitutionnel : abstention massive et truquage jusqu’au ridicule, des méthodes qui ne passeront pas en cas d’élection présidentielle.

Sous pression de la communauté internationale et surtout par le rapport de force imposé par le leader des Transformateurs, Mahamat Kaka est sommé, même dans une partie du MPS, de « corriger » le tir au dernier virage de la transition, celle qui se conclura par la prochaine présidentielle , certainement la plus disputée de ces trente dernières années.

Conscient de tous ces enjeux, le dictateur a convié quelques jours avant le référendum plusieurs anciens caciques du régime de son défunt père pour dessiner les contours de cette phase finale. Parmi les invités de ce dîner secret, Mahamat Zene Bada, Abdoulaye Sabre Fadoul et un revenant : Ahmat Bachir.

Contrairement à Bachir en disgrâce depuis la mort de son « ami », le défunt dictateur , les deux premiers réclament des changements profonds tant au niveau du parti que dans l’administration présidentielle pour participer à cette phase.

Malin et fourbe, Kaka donne toutes les assurances et s’excuse au passage. Pour revenir au choix du premier ministre, le despote a trois noms sur la table.

Succès Masra, le choix de la rupture

L’accord de Kinshasa signé entre les Transformateurs et la junte stipule l’entrée des Transformateurs dans le prochain gouvernement.

La nomination de Succès Masra comme PM serait bien apprécié par la communauté internationale, particulièrement les Etats-Unis et la CEEAC.

C’est aussi un grand pas vers la réconciliation nationale, SM n’ayant pas fait mystère de sa volonté de « corriger les erreurs » du DNIS et de proposer une nouvelle table ronde avec les politico-militaires n’ayant pas signé l’accord de Doha.

Mais le pouvoir et Kaka s’en méfient. Certains dans le système pousse le paranoïa jusqu’à faire un parallèle avec la signature de la charte fondamentale en 1978 entre Habré et Malloum, et soupçonne Masra de « vouloir étrangler le système de l’intérieur ». « La nomination de SM risque de nous coûter cher. Le type a l’intelligence tactique du BOSS ( Hissein Habré). Ils ont tous les deux fait Science Po Paris et ont le sens de l’Histoire.

À ce poste, Succès aura toute la posture d’homme d’Etat et les moyens qui lui manquaient pour arracher le pouvoir » murmurent d’influents ministres. L’inquiétude est aussi partagé par le clan régnant, qui voit son butin menacé par le slogan de « 50/50 » brandit par Masra.

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Contrairement à un Kebzabo qui valide comme un robot tous les décrets soumis à sa signature, Masra sera plus regardant. Dans un système qui a érigé le népotisme, le clientélisme et le tribalisme comme mode de gestion du pays et de règlement de crise, c’est une révolution. Mahamat Kaka prendra t-il soudain de la hauteur politique et historique en allant contre une partie du clan, du MPS et nommer SM premier ministre ?

Un PM dans une « co-gestion » ouvrant la voie à un nouveau dialogue avec la coalition des mouvements rebelles non signataires de l’accord de Doha et enfin mettre sur pied le DDR ( Désarmement, démobilisation et réinsertion) ? On a beaucoup de raisons d’en douter.

Saleh Kebzabo, le choix du statut quo

Malade, irascible et somnolant dans les réunions et même les conseils de ministre, le vieux moundang est au crépuscule de sa carrière politique, et dans un Etat au fonctionnement normal, sa santé serait incompatible avec toute fonction publique. Mais curieusement, Kebzabo fait parti des choix favoris du dictateur comme PM pour cette dernière phase de la transition.

« SK est le candidat du clan au pouvoir et des réseaux affairistes » glisse un connaisseur du pouvoir contacté par TchadOne. Ils apprécient sa « flexibilité », son absence d’ambition politique contrairement à Masra et surtout, Kebzabo ferme les yeux sur tous les détournements de biens publics et les nominations nepotiques, parfois fantaisistes de gamins et d’illettrés à des postes dans la haute administration.

Un Kebzabo reclus à Ndjamena, invisiblisé par la maladie et l’absence d’ambition, Kaka se croit avoir toute la latitude de voyager à l’extérieur, un exercice inutile et coûteux qu’il affectionne. Kaka espére aussi récolter les voies du grand Mayo-Kebi à la prochaine présidentielle. Ce dernier calcul est obsolète tant la théorie des « fiefs politiques » a été mis à mal par SM lors de sa tournée dans le sud.

Bedoumra Kordjé, le choix du changement cosmétique

Plusieurs cercles dans le pouvoir poussent à la nomination au poste de premier ministre de l’ex vice-président de la Banque Africaine de Développement et ancien ministre des finances.

Originaire du Logone comme Succès Masra, la nomination de Bedoumra Kordjé n’est pas vue d’un mauvais œil par des profils « techniques » du pouvoir comme l’ex directeur de cabinet à la présidence Abdoulaye Sabre.

Tirant les leçons de l’échec du référendum et de la nécessité de mettre en avant la question centrale de la bonne gouvernance, une partie du pouvoir, à défaut de Succès Masra, réclame un profil plus indépendant, technique et moins politique.

La décision finale du dictateur dans cette période tendue déterminera la trajectoire politique du Tchad. Entre rupture, statu quo et changement cosmétique, le choix du Premier ministre sera l’élément clé influençant la réconciliation nationale et les relations internationales du Tchad.

Ce moment crucial résonne comme une opportunité ou un risque majeur pour l’avenir politique et économique du pays.

Source : TchadOne

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